Gaz de schiste au Québec: l’improbable posture des industriels

Gaz-de-schiste

Intéressant dossier que celui des gaz de schiste au Québec. Il regroupe bien des éléments passionnants : stratégie d’indépendance énergétique, mobilisation de l’opinion publique, développement économique et acteurs antagonistes (hydrocarbure VS énergies renouvelables). Un bien beau tableau… Plus intéressant encore, l’étrange comportement des acteurs miniers et hydrocarbures sur ce sujet en train de franchement déraper. 

Une guerre mal préparée conduit très souvent à l’échec. Ou tout du moins ne vous facilitera pas la tâche durant le déroulé des opérations. J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt ces derniers mois le développement de la question des gaz de schiste (ou  de shale) au Québec. La question s’est invitée avec force au bal des média au sortir de l’été. Pour mes lecteurs hors Canada, il n’y a qu’à faire une petite recherche sur le moteur de Google Actualités Canada pour se rendre compte de l’importance prise par le sujet en si peu de temps…

Le contexte

Je résumerai le contexte très brièvement. La meilleure synthèse actuellement disponible vient d’être publiée sur Novethic. Vous trouverez également une belle collection d’articles sur Radio Canada.

Le gaz de schiste est une nouvelle opportunité en matière d’énergie. La maitrise de nouvelles techniques et la réduction de leurs coûts en fait une nouvelle manne financière, un outil de développement économique et un outil d’indépendance énergétique.

 Aux États-Unis, la proportion de gaz de schistes pourrait atteindre 25% en 2030 permettant à ce pays d’être auto-suffisant, alors que des importations massives de gaz liquéfiés (GNL) transportés par bateau étaient envisagées (Source: Institut Francais du Pétrole)

 Là où le bât blesse, c’est que cette technologie, encore toute récente, possède quelques faiblesses :

  • Les puits s’épuisent rapidement, il faut donc forer à espaces réguliers sur une même zone. Ainsi, certaines endroits aux USA ressemblent à de vrais gruyères avec un puits tous les 500 mètres. Si cette situation est gérable dans certains grands espaces, elle l’est beaucoup moins dans des lieux peuplés
  • La technique de fracturation hydraulique consomme de très grosses quantités d’eau (10 à 15 millions de litres par puits) recyclés entre 20 à 80%
  • La fracturation peut engendrer des transferts de fluides chimiques –un cocktail d’antibactériens, de biocides, d’anti-corrosifs et l’EPA a retrouvé des composés hautement cancérigènes, tandis que 3 ou 4 cas de pollution des nappes aquifères adjacentes et de contamination de l’eau ont été relevés aux USA.

 Au Québec, en dehors de la vigilance de certaines ONG sur le sujet via les problématiques qui filtraient depuis le voisin US, ce sont les citoyens qui ont donné l’alerte lorsqu’ils ont commencé à voir non loin de leurs foyers des opérations de forage.

Un terrain miné

Actuellement au Québec, l’ensemble des opérations en cours concernant le gaz de schiste ne sont en fait relatives qu’à des permis d’exploration. Aucun permis d’extraction n’est à l’ordre du jour. La position du gouvernement actuel est de ménager la chèvre et le chou, malgré une pression très forte de l’opinion publique sur la question. Une pétition a même été déposée auprès de l’Assemblée Nationale du Québec et a obtenue un très grand succès.

L’important pour le gouvernement Charest est d’obtenir l’ensemble des informations quant au potentiel des ressources en gaz de shale et de proposer par la suite une législation alliant sécurité sanitaire et développement économique. Néanmoins, la pression de l’opinion publique s’est faite de plus en plus forte ces derniers mois. Les ONG ont eu un large accès aux média et on su faire endosser leur cause par de nombreux porte-paroles en demandant un moratoire sur l’exploitation de cette ressource. Inutile de préciser que cela n’arrangerait pas l’industrie concernée…

La plus merveilleuse démonstration de pression par l’opinion fut ce clip posté sur Youtube il y a quelques semaines au sein duquel interviennent de nombreuses personnalités du showbiz québécois. Le produit est visuellement efficace et fait appel à une corde très sensible des québécois (« maîtres chez nous »)

Autant vous dire que cette vidéo s’est rapidement propagée sur les Facebook et autres Twitter québécois. Un malheur n’arrivant jamais seul, un délicieux hasard nous livre prochainement au cinéma « Gasland » un documentaire à charge particulièrement spectaculaire…

 

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C’est là qu’il convient de s’interroger sur la stratégie de communication des industries minières & hydrocarbures. Comment en est on arrivé à un tel dérapage incontrôlé ?

Depuis le début, elles apparaissent comme bien étrangères au débat. En dehors de quelques rapides témoignages ou éditoriaux partisans dans la presse spécialisée, rien… Au final, leur meilleur communicant semble être le 1er ministre Jean Charest qui a fait une prestation tout à fait honorable sur le sujet dans l’émission TV « Tout le monde en parle » version Québec (Voir vidéo ci-dessous à 2 min. 50 sec.).

Pourtant, l’intérêt pour les gaz de schistes au Québec ne date pas de cet été. Pour preuve, le plan budgétaire 2009-2010 du Québec aborde la question section F-75 et suivantes (merci Philippe !). Elle a donc bien évidement été discutée dans d’autres cénacles en amont…

Et j’ose supposer que les industries en question suivaient de près l’évolution de la situation aux USA où les signaux commençaient à passer à l’orange. Notamment avec la décision, au mois d’avril dernier, de l’État de New York d’imposer un moratoire sur les exploitations afin de protéger les réservoirs d’eau potable de NYC. Et que dire de la catastrophe de la plateforme pétrolière du golf du Mexique…

Tous les éléments d’alerte étaient réunis pour :

  • Constater que la perception des sujets liés à l’exploitation des hydrocarbures en Amérique du Nord serait extrêmement mauvaise

Et donc :

  • Se donner les moyens d’anticiper les problèmes et avoir une attitude pro-active

Mais non… rien. On a simplement commencé à creuser des trous sans expliquer ce qui se passait… Aucune structure n’a été spécialement montée pour accompagner le projet auprès du public et des média. Aucune préparation, semblerait-il. Comme s’il avait été considéré suffisant les classiques démarches de lobbying en amont auprès des différents décideurs et acteurs politico-économiques.

C’est uniquement lorsque le feu à commencé à prendre sérieusement que l’on a vu naître début novembre le « Mouvement d’Appui au Gaz de Shale » (MAGS), un organisme à but non lucratif « qui a pour mission d’appuyer, promouvoir et démystifier l’industrie du gaz de shale tout en regroupant les individus et gens d’affaires favorables à cette filière énergétique québécoise ».

J’en ai fait la découverte grâce à mes outils de veille, notamment ceux dédiés au recrutement en communication. La priorité du tout nouveau MAGS était de recruter un « coordinateur aux communications »… Deux jours après ma trouvaille, l’info était dans la presse et continuait d’alimenter les débats passionnés. La crédibilité de la structure était déjà bien entamée…

Il semble que beaucoup de travail attende encore les personnes en charge de la communication du MAGS. Je leur souhaite sincèrement bien du courage (je n’ai pas de parti pris sur la question des gaz de shale).

Cependant, pour conclure ce papier, un constat me parait assez évident : l’enjeu informationnel sur les gaz de shale n’a pas été « mal géré » par les industriels. Il n’a tout simplement pas été géré… Tant d’impréparation pourrait également passer pour de l’arrogance, ce qui est le sentiment d’une grande partie de l’opinion. Après tout, l’industrie minière/hydrocarbure au Canada est un acteur puissant et se comporte régulièrement comme tel (cf. la question des sables bitumineux en Alberta).

Il est toujours très étonnant de constater pour nous, professionnels de la communication et de la stratégie, un tel retard culturel et une telle cécité sur les enjeux informationnels pour une industrie. Le réveil est souvent brutal et il faut dépenser 10 fois plus d’énergie pour tenter de rattraper la casse – si votre projet n’est pas mort entre-temps. Car si l’avenir des gaz de shale est loin d’être scellé au Québec, les dégâts en termes de perception dans l’opinion publique sont, eux, bien présents à long terme.

David

 

 

One thought on “Gaz de schiste au Québec: l’improbable posture des industriels

  1. Merci ? vous deux pour ces commentaires bien riches !@Nicolas :Malheureusement, mes ?l?ments de r?ponses vont ?tre tr?s limit?s. Je n’ai pas fait de recherches sp?cifiques pour les autres Provinces ou Territoires du Canada (ces derniers ont d’ailleurs d’autres probl?matiques tr?s int?ressantes). Manque de temps et obligation de circonscrire le sujet dans le cadre du blog… Je n’ai pas envie de te faire une r?ponse approximative, d’autant plus que le sujet est complexe. Ce que je peux te dire c’est que m?me s’il semble y avoir eu des mouvements d’inqui?tudes au BC, rien de comparable avec le Qu?bec semblerait-il. Preuve en est : l’?tat du d?veloppement de l’industrie l? bas. Mais une rapide recherche sur les actualit?s de la CBC devrait te donner un indice. Concernant le fait culturel, oui, je pense qu’il y a une diff?rence notable ! Et je pense que le commentaire de Guy Rochefort t’en donne une belle illustration…@Guy :Merci pour ce compl?ment d’information. Vous donnez un ?clairage tr?s int?ressant ? la probl?matique, notamment en ce qui concerne l’anamn?se historique de la l?gislation mini?re au Canada. J’en avais avais quelques notions, mais vos pr?cisions sont explicites. N’?tant pas au pays depuis longtemps, ni sp?cialiste de la question mini?re, je reste tr?s prudent pour rester cr?dible et pr?f?re analyser ce que je connais : les affrontements informationnels. Je n’ai aucun doute sur le fait que les difficiles ant?c?dents Franco VS Anglo trouvent un prolongement dans la question ?conomique et donc… mini?re! Le contraire eut ?t? surprenant… De l? ? parler de racisme, c’est un jugement dont je vous laisse la responsabilit?. Mais vous ?tes libre de l’exprimer :-)De m?me, j’ai bien ?videmment constat? le bal des chaises musicales de hauts fonctionnaires vers les industries. Mais, pour ?tre honn?te, ce n’est pas une grosse surprise et ce n’est pas propre ? la question des gaz de shale. Enfin, merci pour la r?f?rence ? "Burning Water" qui m’avait ?chapp?. Je vais y jeter un coup d’oeil.Merci encore ? vous deux pour ces contributions intelligentes. Nicolas je pense que tu tiens l? un sujet potentiellement porteur pour ton prochain article sur Polemos.frDavid

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