"Un mensonge, c’est une belle histoire gâchée par la vérité" [Barney Stinson]

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Il faisait beau et le printemps québécois tentait une énième percée. C’est à ce moment qu’en sirotant mon café, et en parcourant La Presse, j’ai avalé mon bagel de travers. Oui, chers lecteurs j’ai bien failli passer « ad patres » en lisant un témoignage poignant de la lutte informationnelle que se livrent Google et Facebook depuis des mois.

Rappel des faits : un blogger influent aux USA a été approché par l’une des plus grosse firme de Relations Publiques (Burson Marsteller) qui se proposait de fournir des munitions pour tirer sur Google et, en plus, d’utiliser son réseau pour faire publier son article dans des « petits journaux locaux » (The Washington Post, The hiffington Post, The Hill, etc.). Las! Notre ami blogger n’a pas du tout aimé jouer le rôle de l’idiot utile et quelques investigations plus loin, The Daily Beast révélait que le donneur d’ordre était bien Facebook…

Bon, jusque là, pas de quoi fouetter un chat me direz vous. Deux acteurs économiques majeurs se tapent dessus régulièrement et, à ce jeux, la guerre de l’information est d’un usage courant. Seuls les Bisnounours ou les Calinours ne sont pas encore au courant.

Du moins, c’est ce que je pensais jusqu’à que mon bagel brie-confiture fasse fausse-route. Car en lisant l’article, un consultant en RP (qui a eu une carrière chez National et Optimum, quand même…) témoignait à la journaliste de son émoi sur l’emploi de tels procédés. Et que, dans toute sa carrière, il n’avait jamais vu de telles pratiques. Je le crois volontier, mais, pour tout vous dire, je suis très surpris par un tel angélisme. Les gros cabinets de RP se sont faits prendre plus d’une fois la main dans le sac. Et ce n’est pas une petite tendance. Faut-il rappeler que Hill et Knowlton a contribué à diaboliser Saddam Hussein lors de la première guerre du Golf ? Que The Rendon Group a fait de même lors de la seconde ? Que des cabinets d’avocats on fait des demandes de prestations auprès de cabinets spécialisés pour décribiliser Wikileaks? Bref, a-t-on la mémoire si courte dans la profession ?

Et là, je vois certains d’entre vous objecter : ce ne sont pas des relations publiques. OK. Why not. Je veux bien qu’il y ait les chevaliers blancs d’un coté et les représentants de la force obscure de l’autre. Mais, il reste que tout ce beau monde travaille souvent sous le même toit, non ? Alors je veux bien qu’on soit politiquement correcte en Amérique du Nord (Québec y compris), mais il ne faut pas prendre les gens (et les journalistes!) pour plus bêtes qu’ils ne sont (quoique, il semble que ça marche encore bien).

Je suis un homme plutôt pragmatique et, honnêtement, la limite entre communication et “spin” est parfois très fine. Admettons que nous décidions de créer deux catégories : les gentils communicants dont le but n’est que d’informer et les “spin doctors” qui ont à coeur “d’embellir la réalité”, voire plus si affinité. Comment tracer une ligne entre les deux ? Pensez vous que ce soit si simple ? Laissez moi vous compter une histoire vécue.

La Réunion, l’île intense…
Je me suis retrouvé un jour à gérer une crise majeure. La situation à laquelle nous faisions face était vraiment compliquée. Je travaillais à l’époque à La Réunion pour l’Etablissement Français du Sang (l’équivalent d’Héma-Québec mais avec 9700 salariés…) et nous étions en pleine crise du Chikungunya. Histoire du sang contaminé et principe de précaution oblige, nous avions pris la décision de stopper toute activité de prélèvements du jour au lendemain (un plaisir à annoncer à vos salariés). Bref, je vous passe les détails de la gestion de crise : organisation d’un pont aérien entre la Métropole et l’Océan Indien (10.000Km) pour continuer à transfuser des malades, réorganisation de l’activité, relations presse intenses, rencontres multiples avec le Préfet et son staff, etc.Entre temps on prenait la mesure des dégâts : 30% de la population infectée, des morts suspectes, des femmes enceintes qui quittaient l’île en catastrophe pour ne faire prendre aucun risque à leur progéniture, de folles rumeurs dans la population (une équipe de la NASA était passé sur l’île quelques semaines avant l’explosion de l’épidémie.), la responsable com du Préfet se fait virer, etc. C’est assez intense pour vous ?
Rafraichissons nous la mémoire…

http://www.dailymotion.com/video/x3cvhg_le-chikungunya-en-2006-974_news

Au bout de quelques mois ça se tasse un peu et, un jour, mon patron passe la tête dans mon bureau : “Vous avez un instant ? On a un problème que le Secrétaire Général n’arrive pas à régler…”En fait, depuis l’arrêt des prélèvements sur l’île et l’importation de produits sanguins depuis la Métropole, les douanes appliquaient “la taxe d’octroi de mer” (5%) sur chacune des poches de sang (500 poches de sang par semaine à 150 euros pièce. Au bout de 6 mois, ça fait de l’argent…). Après une rapide enquête, je me suis rendu compte que les Douanes n’agissaient qu’à titre de prestataires puisque les taxes ramassées allaient directement dans les caisses du Conseil Régional (à l’époque piloté par Paul Vergès. Oui, le frère de Jacques…) qui lui même devait en assurer une redistribution aux différentes municipalités selon des règles plus ou moins obscures. Là, quand vous connaissez un peu le contexte politico-économique de La Réunion, les lumières rouges s’allument : vous venez de rentrer sur un terrain miné…Quelle a été mon approche pour résoudre ce problème ? D’abord la plus simple qui soit : décrocher mon téléphone et appeler mes homologues dircteur de la com et directeur de cabinet au Conseil Régional qui seraient sans doute soucieux de corriger une situation pas très éthique. Problème : tu n’es pas du sérail et fait face à un barrage constant de secrétaires, tes mails ne trouvent aucune réponse…

Plan B donc…

Tu planifies alors des relations presse classiques et t’organises pour être l’invité de la matinale de RFO radio. Le jour J, au milieu de l’interview, et entre deux chansons de Francis Cabrel, tu lâches innocement que “oui, bon, parmi les défis à relever il y en a auxquels ce service public, si essentiel aux réunionnais, n’était pas préparé. La taxe d’octroi de mer par exemple… Et que tu n’es pas sûr de comprendre les réelles intentions du Conseil Régional sur ce sujet pour lequel il reste muet…”. La journaliste te relance forcément, ca sent le scoop…

A la sortie des studios, ton téléphone sonne : les journalistes de presse écrite veulent en savoir plus, les élus de l’opposition au Conseil Régional sentent qu’ils ont un biscuit à se mettre sous la dent et veulent “ab-so-lu-ment” te venir en aide, etc… Bref, l’affaire fait la une les deux jours suivants et Vergès sort du bois pour dire que “non, vraiment, c’est de sa responsabilité de régler cette affaire au plus vite et que, grâce à son intervention, la taxe d’octroi de mer sur les produits sanguins sera ramenée à 0%…” Une semaine plus tard tu négocies en direct un peu plus que prévu (il faut pousser l’avantage…)  avec le directeur de cabinet de Vergès et le reponsable des services économiques…

Bon, est-ce que vous me voyez venir maintenant ? Pour régler cette situation j’ai, diront certains, “spiné” la journaliste. Je savais très bien que j’allais essayer de tirer une munition durant une entrevue classique. Je savais que cela intéresserait la journaliste. Et je savais que ça passerait d’autant mieux en évitant de monter sur mes grands chevaux. Une info, il faut savoir la calibrer et avoir la bonne posture pour la délivrer. Je ne suis pas venu en disant : “Bonjour, on a un problème avec les mecs d’en face, ça te dirait de me faire de la place dans les news pour qu’on leur tape dessus?”

Les limites, les buts et la conscience…

Borderline

Ai-je eu une démarche de simple communication/information? Non. Suis-je le mal incarné pour autant ? Non plus. Je défendais l’intérêt de mon entreprise qui elle même agissait pour la santé publique. Et, d’ailleurs, ce n’est pas parce que vous incarnez une noble cause que l’on va vous faciliter le travail. Les ONG l’ont très bien compris depuis longtemps et elles auraient des cours à donner à beaucoup de dircom.

Par ailleurs, il ne faut pas prendre (tous) les journalistes pour de grands enfants. Ce que je leur donnais comme information leur permettais de vendre leur news. Surtout, je leur disais la vérité… Et s’il est important d’avoir des relations saines avec eux, il ne faut pas être dupe non plus. Nous avons tous des intérêts à défendre.Alors, dans quelle catégorie me rangeriez vous aujourd’hui ? Le chevalier blanc ? Les forces du mal ? Pour ma part, je considère que beaucoup de moyens peuvent être employés pour atteindre un objectif. Et je sais aussi que l’avantage en stratégie est souvent à celui qui prend l’initiative (ou l’offensive…). L’essentiel est d’être en accord avec sa morale et de pouvoir se regarder le matin dans une glace. Et, surtout, de ne jamais oublier qu’en face, tout le monde n’est pas animé des meilleures intentions. Est-ce que tout les communicants ont à dealer avec ce genre de problématique ? Pas sûr. Mais nous sommes nombreux quand même.Alors, pour clore cet article, revenons au sujet de départ et faisons quelques constats sur l’affaire « Facebook – Google- B&M » :
  • Sur le fond, d’après ce qu’il s’en dit, les informations poussées par B&M pour le compte de Facebook ne sont pas fausses.
  • L’erreur de Burson & Marsteller est d’avoir contacté le blogger par écrit. Tant qu’à faire dans la finesse, on évite de laisser des traces…
  • Corollaire, cela montre qu’il n’y avait aucune réelle proximité entre le blogger et l’agence. Celle-ci semble s’être comporté comme “je suis le king des RP, alors toi, petit blogger, tu vas aimer mon deal de te faire publier dans le Washington Post”. C’est très dangereux de vendre à un bloggeur un tel projet clé en main. Cela démontre une mauvaise évaluation de “la cible” de la part de l’agence. Mais ça ne veut pas dire que ça ne peux pas marcher non plus…
Pour compléter cette lecture, et parceque son avis est aussi, dans un autre genre, pertinent, vous pourrez lire l’article d’Olivier sur son blog « le communicant 2.0 ». Il nous a poussé une gueulante avant hier…

David

1 thoughts on “"Un mensonge, c’est une belle histoire gâchée par la vérité" [Barney Stinson]

  1. @GoudreauCom merci pour votre commentaire qui est aussi un compliment… Le ma?tre mot dans notre m?tier est bien la gestion des perceptions, il n’y a pas de doutes. Au plaisir d’?changer avec vous plus longuement prochainement.David

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