Personne n’a échappé au flot d’informations concernant la tuerie survenue dans le Colorado, dans la ville d’Aurora. Un homme, équipé pour mener une guerre, a semé la mort et la désolation dans un cinéma. Ce n’est pas la première tuerie du genre aux États-Unis, et malheureusement pas la dernière. Mais au delà du tragique “fait divers”, il faut savoir que la question des armes aux États-Unis est le lieu de l’un des plus virulent affrontement informationnel qui soit.
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D’abord parce que, culturellement, les USA se sont construits sur le mythe de la résistance (et de la conquête), toujours armée. Lui est donc intimement lié la notion de liberté.
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Parce que ce mythe fondateur a été consacré dans la Consittution par le deuxième amendement.
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Enfin parce que cela englobe une réalité économique : les USA sont parmi les plus grands producteurs d’arme et le marché domestique se porte très bien. Les lobbies y sont donc actifs et puissants.
Bref, la question des armes est inscrite dans l’ADN des USA et c’est donc un enjeux idéologique. Défendre son point de vue n’est plus, dans le cadre des relations publiques, une simple campagne de communication faisant oeuvre de séduction. Nous sommes sur le terrain de la gestion d’enjeux : enjeux politiques majeurs, enjeux économiques énormes et haute sensibilité de l’opinion publique. Cette dernière est donc sollicitable à souhait. Ce que cherchent les équipes PR des deux bords…
Enjeux politiques d’abord, car la National Rifle Association, le lobby le plus ancien et le plus puissant sur le sujet est un acteur politique de poids. Traditionnellement conservateur, il pèse lourdement sur les enjeux électoraux des deux partis. Que ce soit envers les acteurs locaux ou nationaux. Les politiques US évitent de se les mettre à dos car cela reviendrait à se couper d’une partie de leur base électorale. Comme le montre le graphique suivant, tiré du Washington Post (Six fact about guns, violence and guns control), la réglementation des armes à feu est un sujet largement impopulaire pour les politiques. Au surplus, la Guns Owners of America (GOA), comme la National Rifle Association (NRA), tiennent à jour une liste de la position de chacun des élus sur la question, afin d’exercer une pression constante.
Enjeux économiques ensuite puisque la NRA ou la GOA pèsent sur des acteurs économiques que l’on n’imagine pas. Car en effet, les lobbies essayent de porter le combat sur les terrains les plus nombreux et variés possibles. Ainsi, prendre position sur le fait d’accepter ou non des clients armés dans votre commerce peut avoir un impact en terme de réputation et donc de chiffre d’affaire. L’exemple de la compagnie Starbucks est à ce titre tout à fait révélateur. Non seulement ils ont été concernés par ce choix, mais ils ont également su trouver une réponse équilibrée (du point de vue du contexte US, on s’en s’entend). En effet, ils ont décidé d’accepter la présence d’arme à feu partout où la législation locale le permet. Ainsi, elle s’affiche comme respectant la loi, mais surtout, respectant sa clientèle locale, limitant ainsi la casse : pas de solution globale pour une compagnie globale. Pas de prise de position suicidaire non plus…
Enjeux d’opinion publique enfin, puisque, pour ne citer que cet exemple, les belligérants se sont emparés de la décision de Starbucks, chacun à leur manière. Les membres de la NRA ont conviés leurs membres à boire un café en famille avec leurs armes dans le Starbucks du coin. Un T-shirt a même été créé pour l’occasion… Les opposants ont, de leur coté, tapé sur l’entreprise, via la presse et le web et celle-ci a dû beaucoup communiquer pour expliquer sa position. Évidement, elle n’a pu empêcher qu’une partie de sa clientèle décide de la boycotter. Mais pour combien de temps ?
Or, l’un des arguments les plus utilisé par le lobby des armes et d’énoncer que s’il y avait eu d’autres personnes armées dans le cinéma d’Aurora, le tueur n’aurait pas fait autant de victimes ou, mieux encore, il n’aurait pas pris le risque de s’y rendre. En clair: armons tout le monde, nous serons plus en sécurité…
Et difficile de convaincre une partie de la population du contraire lorsque certains reportages valident cette logique :
La rhétorique peut sembler tordue. Mais c’est ce genre d’argument qui est déployé par la NRA, la GOA (ou leurs émanations plus ou moins discrètes sur le web 2.0) au travers de leurs différentes campagnes. Ce n’est pas toujours de bon goût, mais il me semblait intéressant de vous en mettre quelques exemples à disposition ci-dessous afin que vous puissiez comprendre les différents leviers/argumentaires utilisés.
Évidement, il faut se remettre dans le contexte culturel US pour en apprécier la pertinence. Car du point de vue québécois ou français, cela peut friser l’absurde. Pour saisir l’ampleur de l’enjeu, il faut donc avoir une grille de lecture interculurelle. J’aimerai donc, pour illustrer mon propos, citer Phillippe d’Iribarne, que Benjamin Pelletier citait lui même dans sa très belle analyse sur les enjeux informationnels liés aux boissons sucrées aux USA il y a quelques jours (à lire absolument, tant son analyse recoupe en grande partie ce billet):
« La société américaine accorde, de manière pérenne, une place centrale à l’opposition entre deux expériences : d’un côté, expérience crainte entre toutes, être à la merci des actions d’autrui ; de l’autre, être au contraire maître de son destin. »
À méditer en parcourant la galerie ci-dessous…