Après le choc des images (et des sons), il convient de contextualiser… Car, oui, au premier abord, ces images qui vous sont livrées brut ont nécessairement un impact non rationnel. De manière naturelle, cet impact cognitif vous fait rendre un jugement sans appel en quelques centièmes de secondes :
Policiers = méchants
Manifestants = victimes
Ne niez pas, c’est tout à fait naturel…
Le Perception Management pour les nuls
Le cerveau, quoiqu’on en dise, aime la facilité. A moins d’être un sociopathe, il est peu probable que vous ne ressentiez pas d’empathie pour ces femmes et enfants. Ces images font que le cerveau du spectateur entre dans un mode de fonctionnement appelé en psychologie “l’heuristique de disponibilité”. Cela revient à se baser sur la première impression, la première interprétation qui vient à l’esprit. Celle ci pouvant être déclenchée par une forte charge émotionnelle. Cela peut conduire à inventer vite-fait une « belle histoire » qui semble apporter, sans avoir à attendre des informations complémentaires (ou contradictoires), une explication permettant de décider « avec les tripes ». Et c’est précisément ce que l’on veut obtenir de vous: une réaction rapide, non réfléchie, dans un sens donné.
Pour ne pas tomber dans le panneau, il n’y qu’une seule option : ralentir son processus cognitif, le temps que la charge émotionnelle se dissipe et que l’on soit capable de faire appel à d’autres éléments de contextualisation. En gros, il faut se donner le temps d’être rationnel… Cela paraît évident, mais dans la réalité, au moment “T”, c’est toujours compliqué. Surtout si vous n’avez pas l’habitude de cette gymnastique intellectuelle.
Par ailleurs, du côté du faiseur d’image, il faut préalablement savoir sur quelle corde sensible jouer pour provoquer un choc émotionnel chez la cible. Cette manoeuvre est une ficelle, parmi d’autres, bien connue des spécialistes; du militaire des opérations psychologiques à l’activiste de la PETA (âmes sensibles s’abstenir).
Cycle médiatique et activisme
Ce tour de passe-passe marche d’autant mieux que le système médiatique fonctionne aujourd’hui dans des cycles ultra courts (course à l’exclusivité + web 2.0). On vous livre rapidement une information, souvent partielle, mais qui fera vendre. Tant pis pour la “vérité”, ou tout du moins l’analyse de fond. Demain est un autre jour et d’autres nouvelles seront données à consommer sur le même mode.
Au pire, le débat ainsi créé par cette “information” le sera sur des fondements biaisées qui serviront les intérêts de celui qui a produit les images. C’est d’ailleurs l’effet recherché par l’association Droit Au Logement (DAL), instigateur de cette vidéo.
Pour rappel :
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La présence de la caméra n’est pas anodine. Elle fait partie du manuel du cyber-activiste aujourd’hui largement codifié
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Cette présence est encore moins anodine lorsqu’on sait qu’une intervention policière est imminente puisque cela fait plusieurs jours qu’une décision de justice est rendue et que le trouble à l’ordre public est manifeste.
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La disposition des manifestants : femmes et enfants devant les hommes, à la manière “bouclier humain” fait aussi partie de la tactique des activistes.
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Le facteur culturel joue un rôle important dans l’impact de cette vidéo. La théâtralité et les cris des femmes africaines est une étrangeté pour 90% de la population française et rajoute à l’effroi du spectacle. On a un regard un peu différent lorsque l’on connaît ce trait partagé par de nombreuses sociétés africaine, du Moyen Orient, des Balkans et, dans une moindre mesure, latines…
L’article bien documenté d’Arrêt Sur Images permet de se faire une bonne idée quant au fond de la problématique sur les expulsions et des relations avec les associations du genre DAL. Billy Tallec, ancien chef de cabinet de l’adjoint au logement de la Ville de Paris, fait part de sa riche expérience sur le sujet. Quant à l&rsqu
o;interview du cameraman du DAL dans Le Parisien, celui ci dissipe tout doute quant au modus operandi bien rodé du collectif.
Que les choses soient claires, il ne s’agit pas dans mon article de prendre position sur le bien fondé de cette intervention ni sur la question, plus large, des débats sociaux qui animent actuellement la France. Mais il faut être conscient que ces éléments rentrent en résonance – et pas toujours de manière heureuse – avec les débats actuels sur les questions de l’immigration, des sans papiers, de l’insécurité, du problème des banlieues, de l’identité nationale et tous autre item sur lesquels les différentes acteurs politiques se livrent actuellement bataille dans l’arène médiatique. En dénonçant les violences policières, on dénonce l’action du gouvernement, en premier lieu Nicolas Sarkozy, longtemps appelé « le premier flic de France »…
Caisses de résonances et déontologie journalistique
Tiens, justement, là où le sujet prend une dimension encore plus intéressante, c’est lorsqu’on regarde le traitement médiatique de l’affaire par certains média étrangers. On peut parfois reprocher aux média français de manquer d’analyse ce qui n’est pas vraiment le cas dans cette affaire. Mais lorsqu’on lit l’article du Guardian, quotidien anglais, on se dit que pas d’analyse vaut mieux que la désinformation pure et simple.
Morceaux choisis (issus de l’excellente traduction de Presseurop.eu) :
« Filmée par un cinéaste amateur, la vidéo montre des unités anti-émeute en train de disperser une manifestation de squatteuses menacées d’expulsion en Seine-Saint-Denis »
Non, ce n’est pas un simple “cinéaste amateur”, c’est un activiste du DAL. Ce ne sont pas des squatteuses, mais des familles de squatteurs/sans logements (on ne s’en prend pas qu’à des femmes enceintes sans défense comme le suggère l’intertitre de l’article du Guardian). Elle sous entend ici qu’un simple quidam aurait par hasard filmé une douteuse opération de police. Une sorte de scoop underground…
« Faisant preuve du genre de respect et de sensibilité normalement réservé aux ivrognes, les policiers ont frappé, maltraité, puis traîné les manifestantes dans la rue, et avec elles leurs jeunes enfants et bébés en pleurs. »
Pure démagogie et mauvaise foi. A aucun moment les CRS frappent les manifestantes ni les enfants… Ici on est sur un manoeuvre de diabolisation de la police. a première couche a d’ailleurs été apporté dès le début de l’article.
« Face aux manifestantes, des hommes au crâne rasé portant des gilets pare-balle et arborant le badge des CRS — la Compagnie Républicaine de Sécurité, de sinistre réputation, qui s’est rendue célèbre pour avoir impitoyablement réprimé les ennemis de l’Etat durant les émeutes étudiantes et syndicales de mai 1968. »
Que dire de ce merveilleux passage ? Utiliser le terme “crâne rasé” pour faire un appel peu subtile aux images de Skinheads; faire référence à des gilets pare-balles alors que les policiers n’en portent pas (certains portent quelques protections réglementaires anti-émeute tout au plus); référence aux évènements de Mai 68 qui n’ont aucune raison d’être… Pour qui ne connaît pas un minimum le sujet, on pourrait croire qu’il existe en France des escadrons de la mort aux ordres de l’Etat…
L’ensemble de l’article est à l’avenant, gorgé d’imprécisions et de partis pris. Bref, c’est tout sauf du journalisme…
Je vous vois venir chers lecteurs français : “Oh, oui mais un tel coup bas, venant des anglais, on n’est pas étonné”… Certes, nos amis Britons sont parfois taquins à notre endroit. Mais, renseignements pris, la charmante journaliste qui a écrit ce papier, Nabila Ramdani, n’est pas anglaise mais… une expatriée française.
Comme quoi, on a beau être très diplômé et s’enorgueillir d’un parcours chez les plus grands médias, cela ne fait pas de vous quelqu’un de compétent disposant d’un minimum d’éthique journalistique.
Pour terminer, je vous propose de revoir la vidéo, mais cette fois-ci dans sa version non tronquée. Car, bien sûr, autre élément de manipulation dans le traitement des images, le montage reste une arme redoutable… Vous constaterez par vous même qu’une minute de plus change déjà pour beaucoup la perception que vous aurez de l’évènement. Rien de plus normal, vous disposez d’un contexte de départ différent…
David