Voilà un sujet d’influence bien original. Depuis 1993 le Département de la Défense américain adopte une politique dite du « Don’t ask, don’t tell » : ne pose pas de question (sur mon orientation sexuelle), ne dit rien (de ton orientation sexuelle). Cette loi, strictement appliquée par l’institution militaire, a menée au limogeage de près de 14.000 soldats homosexuels depuis 1994. Votée à l’époque de l’administration Clinton, elle était vue comme un bon compromis. Obama, lui, a promis son abrogation. L’opposition républicaine, incarnée par le Sénateur McCain, ne l’entend pas de cette oreille. C’est à ce moment que LA popstar entre en scène… dans l’arène médiatique.
Introduction au cyber-activisme
Lady Gaga, considérée comme l’une des 100 personalités les plus influentes de l’année selon le Times Magazine, a posté sur internet une vidéo il y a 3 jours pour exhorter le Sénat à ne pas faire barage à la réforme. Elle sollicite aussi l’ensemble de ses fans (6 millions de followers sur Twitter et 18 millions de fans sur Facebook, rien que ca…) pour qu’ils viennent manifester avec elle dans un district où deux sénatrices républicaines pourraient soutenir la réforme. S’ils ne peuvent se déplacer, Lady Gaga donne l’exemple en appelant directement le bureau de son sénateur. Elle enjoint l’ensemble de ses fans à faire de même et à mettre la pression. Elle fournit même le numéro de téléphone…
La maitrise des codes et des symboles
La vidéo (ci-dessous), que je vous conseille, ne laisse pas indifférent. On connaissait le talent de la miss pour la mise en scène, cela est encore une fois vérifié. Le choix des couleurs tout d’abord, avec une vidéo en noir et blanc, d’une austérité sans nom. Nous sommes loin des couleurs flashy de l’ensemble de ses oeuvres. L’utilisation des symboles ensuite: un grand drapeau américain est en fond de scène. Le message est clair : « l’heure est grave et je ne suis pas moins patriote que vous… »
Quant aux paroles, elle commence par nommer directement les principaux opposants à la réforme: John McCain, Mitch McConnell, James Inhoffe et Jeff Sessions. Autant dire que leur publicité est faite… Elle s’adresse ensuite à ses « compatriotes américains » et au Sénat des Etats-Unis. Extraits :
« Je suis là pour représenter une voix pour ma génération, pas la génération des sénateurs qui votent mais pour les jeunes de ce pays. La génération touchée par cette loi […] Sénateurs, quand vous envoyez nos hommes et femmes à la guerre, quand vous envoyez nos femmes, maris, fils et filles au combat, allez-vous leur faire honneur? Soutiendrez-vous l’abrogation de cette loi mardi? »
Il faut noter l’effet dramatique lorsqu’elle appelle le Sénat et que le téléphone sonne dans le vide le temps d’une éternité… pour finalement voir l’appel coupé. Sa très faible réaction, qui n’est pas de l’exaspération – et c’est là le coup de génie – semble dire : « y aura t-il des personnes responsables qui entendront notre douleur ? » Premiers éléments de réponse aujourd’hui, au Sénat…
Quoiqu’il en soit, Lady Gaga démontre un point dont je suis convaincu depuis fort longtemps. Faire de la guerre de l’information nécessite parfois bien des talents en fonction du sujet traité : communicants, historiens, politilogues… mais je suis convaincu que les professionnels de l’influence ont tout intérêt à intégrer des créatifs dans leurs actions. Leur valeur ajoutée est certaine.
Source: Le Point