C’est un très riche document que nous a mis à disposition le Center for International Media Assistance le 19 octobre dernier. Son ambition ? Mesurer les effets de la « communication » à tous vents du Département de la Défense US [dans son effort pour supporter les troupes en Irak et Afghanistan et contrer la propagande ennemie] dans les média locaux où opèrent les militaires US. Voici quelques faits saillants de ce rapport d’une quarantaine de pages.
LA MILITARISATION DE LA COMMMUNICATION
Un des faits les plus marquants est le glissement de pouvoir du ministère des affaires étrangères (Department of State ou DoS) vers celui de la défense (Pentagon ou DoD) concernant le domaine des communications stratégiques. Évidement, se sont les évènements du 11 Septembre 2001 qui cristalliseront ce phénomène : faisant le constat amer que les islamistes radicaux étaient fort à l’aise avec la guerre de l’information le Pentagon se devait de réagir. Cela se fera au détriment du Department of State et de son US Information Agency (USIA), provoquant souvent de nombreuses frictions. A titre d’exemple, de nombreux ambassadeurs US n’apprécièrent guère de voir débarquer chez eux des militaires spécialisés dans l’influence avec des projets souvent peu diplomatiques dans leurs cartons.
« The formation of the Office of Strategic Influence alarmed some Pentagon public affairs officials. They were especially concerned that untruthful messages planted with journalists could damage the credibility of the United States. »
LA QUESTION DU BUDGET…ET DU RETOUR SUR INVESTISSEMENT
Ce déséquilibre entre ministères continue d’être accentué par leurs poids budgétaires respectifs : celui du DoD est aujourd’hui plus de 10 fois supérieure à celui du DoS. Ceci dit, le rapport du CIMA pointe le fait que le DoD n’est pas toujours la meilleure interface pour traiter d’influence.
En effet, malgré l’argent investit, il fait très peu dans le « média development » comme saurait faire l’USIA. A savoir de créer, en Irak ou Afghanistan, un environnement favorable à des média locaux, formés, équipés et « indépendants ». Un vrai enjeu stratégique à long terme…
Le rapport note également qu’il y a une grande distorsion entre les millions de dollars dépensés par le DoD sans contrôle d’efficience possible (pour cause de secret défense) et les petits montants alloués aux ONG sous contrat dont on contrôle sévèrement les résultats. Distorsion d’autant plus grande lorsqu’on sait qu’une grande partie des opérations d’influences on été externalisées à des « contractors » qui, souvent, sont des émanations de sociétés militaires privées dont l’amateurisme en la matière a souvent été pointé du doigt (une longue partie de l’étude est réservée à cette analyse).
Le CIMA note d’ailleurs que le Congrès US a commencé à « serrer la vis » sur le bon usage des deniers public sur ce domaine :
- Lors de la présentation de son budget au Congrès en 2009, le DoD a soumis une première proposition de près d’un milliard de dollars (988 millions) pour le chapitre « strategic communications et information opération ». Peu convaincu de la lisibilité d’un tel budget, le Congrès, coupa celui-ci de moitié après deux tours de négociations (526 millions de $).
- Corolaire direct, pour la première fois le Congrès demanda au Pentagon de faire un effort afin de consolider l’ensemble des opérations relatives aux Info Ops et Strategic Communications dans un seul chapitre budgétaire afin d’exercer un meilleur contrôle sur ces activités.
Pour donner une idée de l’engouement du DoD pour les questions d’influence, on peut do nner pour exemple l’évolution du budget alloué aux Info Ops en Afhanistan : 40 millions de $ en 2008, 243,8 en 2010…
Pour l’année 2011 à venir, le Pentagon vient de soumettre un budget d’un montant de 384.8 millions de dollars au chapitre des Info Ops. Cela ne comprend pas les opérations considérées comme relevant des « Strategic Communications ». Aussi, le rapport note qu’il est mal aisé de connaitre avec précision le montant total alloué par le Pentagon à l’ensemble de la « sphère influence ».
Walter Pincus, reporter au Washington Post, estime que l’ensemble de cette sphère pourrait représenter près d’un milliard de dollars, dont près de 40% iraient directement à des contratctors…
LE JACKPOT POUR LES CONTRACTORS
Avec la pluie de dollars pour monter des opérations d’influences tout azimut depuis 2001, le Pentagon a été mis
face à une contradiction : il ne disposait pas de toutes les ressources nécessaires pour monter ses projets en interne. Il fallait donc faire appel à des prestataires externes.
Le nombre exact de contractors sur ces sujets, et les montants alloués, depuis 2001, ne peuvent être réellement connus. Néanmoins, on sait qu’entre 2006 et 2008, la valeur approximative des contrats cédés pour des opérations d’influences en Irak serait de 270 millions de dollars.
« Major defense contractors, as well as start-ups with little or no history or expertise in the news, information, or public relations, are now casting themselves as information specialists. »
UNE VOLONTÉ POLITIQUE
Une telle dépense de dollars ne pouvait se faire sans une visée stratégique et une volonté politique.
Le rapport rappelle que dès l’été 2002, G.W. Bush signa la National Security Présidential Directive-16 (NSPD-16) qui donnait les grandes orientations de la guerre de l’information à mener dorénavant. Encore classée secret défense, son esprit peut en tous cas être résumé par ce titre d’une diapositive Power Point aperçue lors d’une présentation donnée à l’Air University : « information itself is now a weaponm a realm, and a target »
Par ailleurs, D. Rumsfeld signa en 2003 la « Information Opérations Roadmap » qui éleva les opérations d’influences au rang de capacité militaire de premier rang.
En conclusion :
Je ne saurai que trop encourager mes lecteurs à l’aise avec la langue de Shakespeare à lire le rapport dans son intégralité (disponible ci-dessous). Peter Cary, journaliste et rédacteur de ce rapport a pris grand soin de brosser un portrait très complet et documenté sur la question de l’influence aux USA. Budgets, industrie, incidents, retour d’expériences… Il y a de quoi s’instruire. Bien évidement, ce rapport plaide pour la paroisse du CIMA et acteurs similaires.
Cependant il pose des questions de fond aujourd’hui débattues chez nos amis anglo-saxons : comment (ré)organiser la question de l’influence au niveau étatique ? Quels sont les acteurs compétents, légitimes et crédibles ? Doit-on revoir les priorités sur la philosophie et les outils déployés ?
Bref, que de questions passionnantes !
David Millian