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On aurait pu croire que le Vatican, en tant qu’entit? religieuse mais aussi, faut-il le rappeler, en tant qu’Etat, avait r?fl?chit ? une possible et grave remise en cause de sa l?gitimit? sur le terrain de la communication. A voir comment la question de la p?dophilie est g?r?e depuis quelques temps, il faut croire que non…?
Vous avez tr?s certainement suivi avec effroi les derniers d?veloppements des pr?tres accus?s de p?dophilie et dont les agissements ont ?t? couverts, durant des ann?es, par leur hi?rarchie. Hi?rarchie qui se trouve ?tre?aujourd’hui?rien de moins que le Pape… Extraordinaire et merveilleux cas de communication de crise rat?e.
Une perception biais?e.?
Il y a 3 jours, le Cardinal Bertone, num?ro 2 du Vatican (qui a le titre de Secr?taire d’Etat)?estimait que les scandales de p?dophilie qui secouent?l’?glise?catholique sont li?s ? l’homosexualit? et non au c?libat des pr?tres.
Stup?faction?! En quoi pouvait-il ?tre pertinent d’essayer d’op?rer un glissement de sens de? »pr?tre p?dophiles = p?dophiles + facteur aggravant qu’est le c?libat » vers? »pr?tre p?dophiles = homosexuels refoul?s »??
L’id?e g?niale semblait ?tre de ramener la perception d’une d?viance sexuelle grave vers quelque chose de plus acceptable socialement mais qui reste une d?viance pour la religion catholique (l?homosexualit?). Cela permettait de sugg?rer dans un deuxi?me temps que si homosexualit? il y avait chez ces pr?tres, ils ?taient d?j? des ??canards boiteux?? avant de rentrer dans l’institution. Une sorte de ??vice cach? de la chose?? comme dirait les juristes. Enfin, cela permettait d’?viter d’avoir ? se d?fendre sur la question du c?libat, sujet sensible.?Le tout faisait que l?on glissait d’une responsabilit? collective de l?institution vers ?une responsabilit? personnelle des pr?tres incrimin?s…
Cela d?montre que le Vatican souffre de gros probl?mes de perceptions sur sa gestion de la crise. C?est ce qui peut arriver de pire : ne pas comprendre ce que l’on vous reproche. Ou faire semblant… Il ?tait ?vident que les associations homosexuelles, mais aussi une tr?s grande partie de l’opinion publique, allait fort mal r?agir ? une telle posture. La p?dophilie est une d?viance grave, s?v?rement punie par la loi. La mettre au m?me niveau que l’homosexualit? ?tait, pour le coup, une h?r?sie totale et inacceptable.
De plus, lorsque la situation est aussi accablante,?id?alement,?on ?vite de nier ses responsabilit?s. Situation certes intenable pour l’institution catholique, car cela fragiliserait encore plus le Pape. Mais lorsque la marge de man?uvre est si r?duite, on ne tend pas une telle perche pour se faire battre. Car cette posture ne r?pond clairement pas ? ce qu’attend l’opinion ? savoir?: empathie, prise de responsabilit? et?pro-activit?. Enfin, la th?matique du c?libat n’avait pas ? ?tre soulev?e par l’?glise. Du moins, tant que cette munition n’avait pas ?t? utilis?e dans l?ar?ne m?diatique par ses opposants.
Une d?p?che AFP?d?hier laissait ? penser que les autorit?s religieuses tentaient de corriger le tir?en annon?ant que?« Les autorit?s eccl?siastiques ne jugent pas qu’il rel?ve de leurs comp?tences de faire des affirmations g?n?rales ? caract?re sp?cifiquement psychologique ou m?dical, pour lesquelles elles renvoient naturellement aux ?tudes des sp?cialistes et aux recherches en cours sur le sujet ».
Sauf que, dans la foul?e, le Saint Si?ge se tire une balle dans le pied en annon?ant que, selon leurs propres ?tudes sur les 3.000 affaires trait?es depuis 2001 par le Vatican? « 10% de cas [se r?v?lent ?tre] de p?dophilie?au sens strict » et « 90% de cas ? qualifier plut?t d’?ph?bophilie?(c’est-?-dire commis envers des adolescents) ».
Quel degr? de cr?dibilit? l?opinion publique est sens?e accorder ? une telle ?tude r?alis?e en interne?? Par ailleurs, pensent-ils que l’opinion va accepter de faire la diff?rence entre un pr?tre qui s’attaque ? un jeune enfant et celui qui s’en prend ? un adolescent ? Evidemment non… c?est ce qu?on appelle jeter de l?huile sur le feu.?
Un manque de pr?paration flagrant.
L’actuelle cacophonie sur la gestion du dossier est tout simplement incroyable et d?montre, en plus des nombreux biais cognitifs dont souffre l’institution, une impr?paration majeure dans le dispositif?communication. Ce n’est pas la premi?re fois que la question des pr?tres p?dophiles fait surface. Comment se peut il que le?Vatican?ait apport? des r?ponses si peu pertinentes pour un?sc?nario?si pr?visible ? De plus, au-del? du raccourci calamiteux entre homosexualit? et p?dophilie, cela a ?t? une erreur strat?gique majeure de s’aventurer sur le domaine des sciences humaines et de la m?decine. Le Vatican, au cours de son histoire, a men? plus d’un scientifique sur le bucher. Investir ce terrain, o? sa l?gitimit? est nulle, fait qu?il se retrouve encore plus expos? ? la critique. Je pr?dis encore de mauvaise journ?es ? venir pour le Saint Si?ge…
David
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Hello David,Merci ? toi d’avoir abord? le sujet qui, je crains, est bien trop complexe et riche pour ?tre discut? m?me en surface sur un blog. Mais allez, je joue le jeu car c’est une r?flexion qui m’int?resse ?norm?ment et que j’envisage depuis les derni?res ann?es de Jean-Paul II – non, en fait depuis 1997 et les JMJ ? Paris.Je ne d?taillerai pas ici le cadre de ma r?flexion – il d?borde le th?me de ce blog, et il est assez long ? exprimer. Mais notons que le Vatican depuis les ann?es 1970 au moins doit concilier des donn?es qui peuvent para?tre contradictoires :1) c’est un Etat reconnu par la communaut? international2) il est s?culier, mais il est surtout religieux, au service de la promotion et de la d?fense d’une r?v?lation transcendantale, porteuse de valeurs et d’un projet de vie sp?cifiques.3) depuis au moins les ann?es 1970, il s’av?re que ces valeurs et ce projet de vie ne r?pondent plus ? une large partie de la population en Occident – du moins, en France comme au Qu?bec.4) et l? o? ?a coince le plus, c’est sur les questions d’intimit? et de sexualit? – alors que le Concile Vatican II a op?r? une v?ritable r?habilitation du corps et de la sexualit? dans la doctrine et son enseignement.Et c’est l? que le b?t commence ? blesser : qui, m?me parmi les pr?tres ou les religieux, serait capable d’expliquer au commun des mortels, aux media, aux d?cideurs politiques… quel est la doctrine de l’Eglise catholique depuis au moins 40 ans ? Je fais exception des ordres s?culiers les plus port?s sur le pr?che et la communication d’une part, la r?flexion et al th?ologie d’autre part : Franciscains et Dominicains.La crise des "pr?tres p?dophiles" n’est n?anmoins que le dernier avatar d’une longue s?rie trahissant un manque total de strat?gie de l’Eglise pour g?rer des transitions soci?tales qui l’affecte profond?ment. Elle est toujours sur la d?fensive, et ne semble retenir aucun enseignement des crises informationnelles qu’elle affronte depuis 40 ans.J’ai expos? mon analyse ? un pr?tre Dominicain, et lui ai demand? pourquoi l’Eglise ne se d?cidait pas ? reprendre les choses en main, ? se doter d’un Dir’Com mais surtout ? cr?er de l’information, ? expliquer sa doctrine pour que l’on cesse de la caricaturer, quitte ? la faire ?voluer (j’ai r?cemment d?couvert gr?ce ? un brillant th?ologien allemand que le c?libat des pr?tres ?tait n? au XII?me si?cle au moment des r?formes de l’Eglise d’Occident pour ?viter qu’il y ait concurrence entre les descendant d’un seigneur la?c et d’un autre religieux pouvant se pr?valoir d’autorit?s aussi importante l’une que l’autre ? l’?poque).La r?ponse ?tait : le Vatican ne sait pas faire. Si c’est le cas, je trouve qu’il y a sacr?ment eu d?perdition de savoir faire en 100 ans, pour un Etat qui n’a presque jamais eu d’arm?e r?guli?re de son histoire, qui a ?t? l’un des premiers ? se doter d’une radio officielle d?s l’apparition de cette technologie, et qui est r?put? – ? tort ou ? raison – pour ses pouvoirs d’influence et son soft power par excellence. Engager un Dir’Com, c’est commencer ? g?rer la crise ; penser strat?gie, c’est pr?venir les crises.