Médias sociaux, stratégie et guerre du sens : un monopole public ?

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Les médias sociaux sont sans doute le lieu où les enjeux de communication sont de plus en plus nombreux. Jusque-là, on n’a rien dit de neuf ou d’intelligent. Par contre, c’est également le terrain où se développe une forme de communication plus agressive que d’aucuns appellent « guerre de l’information ».

Bien sûr, cette tendance est issue d’une maturité des pratiques. Les média sociaux ont, jusqu’il y a peu, servi des intérêts très classiques : vendre des images et des produits. Énorme phénomène, donc énormes opportunités, les entreprises devaient s’impliquer.

 

Dans un deuxième temps, ce beau terrain de jeux s’est aussi avéré un champs de mines. Pas la peine de vous faire l’historique des cas Nestlé, et autres, qui ont eu à expérimenter la gestion de crise 2.0 et les déstabilisations numériques. Une tonne de littérature a été versée sur le web à ce sujet. Si vous ne deviez lire qu’un article, ce serait celui-ci.

 

Passé la lune de miel, on venait de prendre acte que l’outil avait aussi de gros inconvénients et que certains géants se tenaient souvent sur des pieds d’argile… numériques.

On réalisait aussi que la communication sur les réseaux sociaux, c’est souvent une relation asymétrique en fonction des mouvements d’opinions et des enjeux informationnels :

– Quand tout va bien, et quoi qu’on en dise, les MS sont pour l’essentiel une relation du haut vers le bas, les entreprises voulant garder le contrôle de leur communication (Cf. pages Facebook, blogs, etc.). Au mieux, c’est devenu un nouveau terrain de jeu pour la relation clientèle (Cf. Twitter).

– Quand ça va mal, la guérilla numérique prend forme et l’entreprise se retrouve finalement dans le cadre d’un conflit informationnel asymétrique plus ou moins long et intense. C’est ainsi que l’e-reputation devint un nouvel enjeu, rejoignant le giron de la veille stratégique.

Depuis quelques mois, on en est là : les acteurs économiques ont pris possession du terrain, intégré les règle du jeux et campent en position défensive.

Dans tous les cas, rien de bien sexy il faut le dire. Je n’ai vu aucune entreprise s’emparer des média sociaux pour se défendre avec verve et vigueur (tiens, au hasard, Amesys, ce qui aurait vraiment été intéressant et valable du point de vue rhétorique) ou acquérir une nouvelle position (stratégie de conquête).

Alors quoi, la stratégie et le sens de la répartie ont-elles définitivement déserté le champ de la communication 2.0 ? Non, fort heureusement. Mais la surprise vient d’acteurs réputés pour leur frilosité : les acteurs publics. Démonstration au travers de deux exemples récents.

 
1. Talibans VS OTAN : follow the leader Twitter

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C’était il y a un mois environ et toute la presse internationale en a parlé : les talibans ont mené un raid contre l’ambassade des États Unis dans le secteur hyper protégé de la zone verte à Kaboul. Opération perdue d’avance, mais dont l’objectif n’était pas tant militaire que psychologique : une autre manière de gagner la bataille dans les média, donc auprès de l’opinion publique, donc de faire pression sur les politiques. Schéma classique, plan de com classique. On a juste rajouté des Kalachnikov et des RPG-7.

Ce qui l’était moins (classique), c’est de voir avec quelle rapidité et sens de la répartie les talibans et les communicants de l’OTAN ont croisé le fer via Twitter durant toute l’opération (une vingtaine d’heures…). Ces derniers nous ont même livré ce lumineux message à la fin de l’opération (et donc à la mort des insurgés) :

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Le lien mène vers la vidéo ci-dessous ou l’on voit le général de l’ISAF venir inspecter les dommages, voir si ses gars vont bien et les féliciter. En s’adressant ainsi aux Talibans, mais aussi à l’ensemble des followers du monde (donc des journalistes, analystes, etc.), nul doute que l’OTAN enfonçait un argument qui faisait mal, même si beaucoup de spécialistes accordent le round au talibans.

 

 

L’OTAN n’est pas un amateur dans sa communication numérique. Allez faire un tour sur leur site, une vraie opération séduction via des contenus riches et variés. Cepend
ant, depuis quelques mois, à la faveur des impératifs et des enjeux informationnels, ce dinosaure (organisme international + bureaucratie militaire, j’espère que vous réalisez les embûches…) a su s’emparer d’un média social pour ne pas laisser le terrain libre aux talibans. Le Twitter, version fil de presse, s’est transformé en canal de contre-insurrection sur le champ cognitif. De la communication d’influence, on est passé à une communication offensive. Du moins sur une problématique « locale ».

“L’information c’est la guerre”. Cette assertion n’a jamais été aussi vraie. Une guerre des mots, du sens et de la vidéo virale.

Dsi

Cet exemple est passionnant et nous n’en sommes qu’au début. De nombreux projets bouillonnent chez nos amis américains quant à la question des média sociaux. Et tous ne sont pas roses d’ailleurs. Si vous souhaitez avoir une synthèse de la problématique “Afghanistan et médias sociaux”, je vous conseille l’article de mon camarade et ami Florent de Saint Victor paru dans le numéro 73 de Défense et Sécurité Internationale , paru en septembre dernier.

2. Intérêts nationaux et marges de manoeuvre diplomatique : les sables bitumineux

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Je dois vous avouer ma jubilation lorsque j’ai découvert la campagne d’Ethical Oil il y a peu. En bref, il circule depuis quelques temps la vidéo suivante :

Nous avons là une campagne très intéressante pour plusieurs raisons :

  • Sur la forme :

On utilise la question des droits de l’homme (une valeur extrêmement positive) pour vanter un projet économique décrié par certains (les sables bitumineux). Ces derniers s’appuie d’ailleurs sur une autre valeur positive : l’écologie.

Habile car, de la manière dont le deal nous est proposé, on en vient au paradoxe cognitif suivant:

Droits de l’homme ­> Écologie, donc sables bitumineux = moindre mal…

Cette ficelle fait notamment appel à ce que l’on nomme en psychologie l’euristique de disponibilité. Si vous voulez en savoir plus, j’en ai déjà parlé dans un autre article.

  • Sur le fond :

Intéressant aussi du point de vue de la méthode. Nous ne sommes pas dans le cadre d’une crise ou d’un évènement à chaud comme dans l’exemple Afghan. Il y a du savoir-faire à l’oeuvre, qui correspond au moins à 3 étapes :

  1. La recherche des failles informationnelles. C’est à dire des points critiques chez “l’adversaire”, sur lesquels on va pouvoir s’appuyer en toute légitimité et bâtir son discours.
  2. Marteler les argumentaires, exemples à l’appui (suivez le fil Twitter d’Ethical Oil, vous serez servis).
  3. Trouver si possible d’autres failles à exploiter, notamment toutes les réactions maladroites de l’adversaire.
  4. (étape bonus) C’est encore plus intéressant si vous arrivez à maintenir l’image selon laquelle vous êtes le petit qui se bat contre le fort.

Les argumentaires du site et les twits s’y rapportant ne font pas dans le politiquement correct. Autant vous dire que l’Arabie Saoudite n’apprécie que moyennement et active les pressions diplomatiques et juridiques pour que cesse un tel affront. Elle tend donc la perche pour valider l’étape bonus numéro 4…

Certains m’objecterons que ce second exemple ne tient pas la route au regard de mon postulat de départ  (“les acteurs publiques comme moteurs de l’innovation polémologique dans l’utilisation des médias sociaux” (ça fait très titre de thèse…)).

Certes, Ethical Oil apparaît comme un obscure collectif, probablement nourri par les compagnies pétrolières et minières. Mais il est intéressant de noter la réaction du gouvernement canadien face au courroux saoudien. Sa réponse a été du genre “La liberté de parole et de la presse sont sacrés, circulez y’a rien à voir”’. Depuis, les ministres la joue fine : ils ne veulent pas dénoncer l’argumentaire d’Ethic Oil, mais évitent d’en faire une position officielle, histoire de ne pas sombrer dans le drame diplomatique. Intéressant non ?

En fait, tout est plus facile à comprendre lorsqu’on sait que le sympathique fondateur d’Ethical Oil est un ancien directeur des communications du gouvernement Harper et un membre influent de la mouvance conservatrice actuellement au pouvoir. Je vous aurai bien fait une petite cartographie des acteurs et des liens, mais bon, le temps me manque. Explorez quelques liens sur internet, vous comprendrez rapidement de quoi il retourne.

Au final, on peut dire, sans trop de risque, qu’une telle campagne est à minima menée sous le regard bienveillant du gouvernement Harper, et peut répondre à une stratégie d’ensemble visant à préserver les intérêts canadiens. Il est tout aussi probable que le financement d’Ethical Oil soit issu du secteur énergétique, mais pas seulement.

Cette opération a d’autant plus de sens qu’un autre do
ssier est actuellement sur le feu : le projet Keystone XL. Magique hasard du calendrier, celui-ci prévoit la construction d’un pipeline de l’Alberta vers les USA. Il s’agit bien évidement d’un énorme contrat pour le Canada (7 milliards $) et l’administration Obama doit prendre une décision très prochainement.

Alors, à votre avis, Ethical Oil : franc-tireur (privé) ou faux nez (public) ?

David

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